Résumés du n° 65 (printemps - été 2013)
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Dossier : Halakha, interprétation et usage
Halakha et modernité. Un système juridique en mutation par Yeshaya Dalsace
L’émancipation des Juifs aurait dû mettre un frein au juridisme religieux juif devenu obsolète dans un monde sécularisé. Or, il n’en est rien. La halakha, la loi religieuse juive, est plus dynamique que jamais et couvre les domaines les plus divers. L’article explore ces différents domaines de l’exégèse juridique mais aussi la diversité de styles et d’approches selon les personnalités et surtout les courants idéologiques du judaïsme contemporain. Il montre également l’incidence des moyens modernes de diffusion sur la halakha devenue plus facilement accessible à tous. Il ressort de l’ensemble un étonnant dynamisme juridique, mais aussi l’image d’un monde juif en pleine mutation, idéologique comme historique, mutation qui trouve son reflet dans l’exégèse halakhique.
The emancipation of the Jews should have put a brake on Jewish religious legalism, which had become obsolete in a secularized world. In fact, nothing of the like happened. The halakha, the Jewish religious law, is more dynamic than ever and applies to the most varied fields. The article investigates these different fields of the legal exegesis, but also the diversity of styles and approaches that go together with the figures and the ideological streams of contemporary Judaism. It also shows the impact of modern broadcasting means on halakha, which has become more accessible to everyone. A stunning legal dynamism comes out of the whole, as well as the picture of a Jewish world that is undergoing massive changes, ideological as well as historical, that reflect themselves in the halakhic exegesis.
Regard de la diaspora babylonienne sur Eretz-Israël à l’époque talmudique. Quelques remarques par Emmanuel Friedheim
L’objectif de cet article est de reconstituer le regard porté par la diaspora juive babylonienne vis-à-vis de sa consœur de la terre d’Israël au temps du Talmud. Contrairement à ce que l’on pouvait penser jadis, il semblerait que le rapport des Babyloniens envers Eretz-Israel fut en réalité globalement positif, y compris dans le cas de l’académie rabbinique babylonienne de Poumbédita.
The purpose of this research explores the question of the relationships between the Jewish babylonian community and the Jewish society in the Land of Israel during the Talmudic era. Formerly, scholars emphasized the fact that Babylonian Sages, especially those from the rabbinical academy of Pumbedita, were in conflict with Palestinian Jewry in Talmudic time. We decided hereby to verify this problematic in the light of a reexamination of primary sources. The conclusions demonstrate that the representation of Eretz Israel in the eyes of Babylonian Jews was actually much better and harmonizes well with the historical conditions that prevailed in Babylonia and Palestine in the first centuries C. E.
Les sources du droit juif et la Halakha ancienne. Nominalisme ou loi divine préétablie ? par Christophe Batsch
Cet article reprend, à la lumière des connaissances nouvelles sur la halakha ancienne tirées des manuscrits de la mer Morte (Qumrân), un débat déjà ancien sur la nature et la qualification juridique de la halakha rabbinique d’époque tanaïtique.
La halakha élaborée par les Sages puise-t-elle ses sources dans une forme de « droit naturel » ou relève-t-elle plutôt d’un positivisme (ou nominalisme) juridique assumé ?
This paper resumes an already old debate upon the legal and juridical character of tannaitic halakha. it brings in some new lights in the area of ancient halakha from the Dead Sea scrolls (Qumrân). The question is still : does the halakha developped by the Rabbis belong to a “realistic” (jus naturalis) or a “nominalist” kind of law ?
La Halakhah. Observée ou ignorée ? Unifiante ou séparatrice ? par Evyatar Marienberg
La Halakhah, la loi juive, jouait-elle un rôle unifiant, ou au contraire séparateur, dans la société juive ? Et fut-elle observée par un grand nombre de juifs ? Très souvent, des auteurs et orateurs de tendance traditionaliste répondent positivement à ces deux questions. Cet article examine ce sujet, et suggère que la réalité historique était souvent bien plus complexe.
Did the Halakhah, the Jewish law, play a unifying role – or, on the contrary, a dividing on – in Jewish society ? And was it observed by the majority of Jews ? Traditionalist authors and preachers often answer these two questions positively. This article examines this topic and suggests that, according to historical findings, the reality was often much more complicated.
L’anthropologie rabbinique et les débats actuels sur la bioéthique par Matthias Morgenstern
Cet article étudie les textes juifs de l’Antiquité en commençant avec un midrash sur le récit biblique de la création de l´homme, puis présente les discussions du traité talmudique de Nidda, afin de définir un point de départ pour une anthropologie rabbinique. Les maîtres du midrash et du Talmud y discutent des questions de pureté relatives à la menstruation et au flux du sang pendant et après la grossesse afin de construire un système de normes pour réglementer la vie sexuelle. Les mêmes textes ont été, récemment, utilisés pour se référer à l´histoire critique de la médecine et aux problèmes de la bioéthique moderne (IVG, recherche sur les cellules de souches, clonage). La discussion en Israël montre que cette approche est, pourtant, difficile à réaliser car elle présuppose la reconnaissance du système de la Halakha en entier.
This article deals with Jewish texts of antiquity with the attempt to reconstruct the rabbinic teaching of embryology and anthropology. In a Midrash on the biblical account of the creation of Man and in discussions in the tractate of Nidda in the Talmud, the rabbis discuss questions of purity that are concerned with the menstruation and the flux of blood before and after pregnancy in order to deduce norms of sexual behavior. These texts have recently also been used for critical reference to the history of medicine and to problems of modern bioethics (abortion, stem cell research, cloning). The actual discussion in Israel, however, shows that in a secular society this approach is difficult to sustain because it presupposes the acknowledgment of the entire system of Halakha
Loi juive (halakhah) et bioéthique. Procréation médicalement assistée, gestation pour autrui, homoparentalité et monoparentalité par Liliane Vana
Les nouvelles techniques de procréation médicalement assistée (PMA) qui ont bouleversé nos sociétés depuis le début du XXe siècle et dont l’importance n’est pas mise en cause soulèvent de nombreux problèmes éthiques, anthropologiques, sociologiques qui remettent en question les structures fondamentales de nos sociétés et leurs institutions, notamment celles de la famille, de la parentalité, des liens de parenté, de filiation etc. Comment définir ou redéfinir ces relations dans les cas de PMA lorsque des tiers interviennent dans le couple tels le donneur de sperme, la donneuse d’ovocytes, la mère gestatrice ? Ces liens seront-ils biologiques ou sociologiques ?
La présente étude tente d’analyser la manière dont la loi juive (halakhah) aborde ces questions. Comment elle est élaborée (au sein des courants orthodoxes) avec et à partir des textes anciens et comment sont menées de front la réflexion éthique et bioéthique, la préservation des fondements de la loi juive et l’approche novatrice nécessaires dans ce domaine particulier.
Dans l’état actuel de la halakhah, l’idée d’une PMA ou d’une GPA est généralement admise et rares sont les décisionnaires qui s’opposent à ces techniques médicales. Dans l’élaboration des nouvelles lois, on veille tout particulièrement à la préservation de la clarté de la filiation ; à la conformité de ces techniques médicales aux différents aspects de la halakhah ; à leur compatibilité avec elle.
The innumerable innovations in the field of medically assisted procreation (MAP) have transfigured our society from the 20th Century onwards. These techniques, whose importance is indubitable, raise multiple ethical, anthropological and sociological issues and call into question the fundamental structures of our society and its institutions, including family ; parenthood ; blood ties ; filiation and still more. How should such relationships be regarded when the process of MAP requires the intervention of people external to the couple (such as semen donors, oocyte donors and surrogate mothers) ? Will these relationships tend to be rooted biologically or socially ?
This research scrutinises the general approach of the Jewish legal code (halakhah) to these issues ; how this is derived (among the Orthodox movements) from ancient texts ; and the manner in which the resulting ethical and bioethical analyses guide medical innovations in MAP.
In its present form, the idea of MAP is generally accepted by halakhah ; only a handful of halakhic authorities forbid it. However, it demands a high standard of clarity in cases of filiation, and the compatibility of the new law with old ones is also highly valued.
La promesse d’embauche et la conclusion du contrat de travail. Une comparaison entre le droit français et le droit hébraïque par Isaac Benhamou
Cet article compare les processus de promesse d’embauche et de contrat de travail – tels qu’ils sont évoqués dans la Mishna, le Talmud et à travers les différents commentateurs tout au long de l’histoire, ainsi que leurs implications concrètes tant pour l’employeur que pour l’employé – à la réglementation telle qu’elle se présente actuellement dans le droit français. À travers cette comparaison, nous remarquons l’importance que le droit hébraïque accorde à la dimension morale de l’engagement humain mais également une différence majeure avec le droit français. En effet, le droit hébraïque ne se limite pas aux rapports entre « l’homme et son prochain », il intègre également, et au même titre, les relations entre « l’homme et Dieu ».
Isaac Benhamou compares in this article the promise of employment and contract’s process of work as they are mentioned in the Mishnah, the Talmud, and through different commentators throughout history, with their practical implications for both the employer and the employee to the regulation as it is currently under French law. Through this comparison, we quote the importance granted by the Hebrew law to the moral dimension of human engagement, but also an important difference with French law. Indeed, the Hebrew law is not restricted to the relationship between “man and his neighbor”, but it also includes, and as equally, the relationship between “man and God”.
Varia
Gérard Étienne, poésie et judéité par Simone Grossman
Gérard Étienne, originaire d’Haïti, écrivain et journaliste du Québec, s’est converti au judaïsme après avoir rencontré Natania, fille du rabbin Feuerwerker, à Montréal où l’avait mené son exil forcé en 1964 à la suite de l’arrestation et de la torture par les sbires de Duvalier. Il s’auto-définit comme « nègre juif » sans renier son identité haïtienne, combat le fascisme, le racisme et l’antisémitisme et manifeste sa volonté d’être Juif et Noir. Grâce à la judéité, source vive de sa création, il renaît à la vie. Un rapprochement sera esquissé entre Étienne, Mandelstam et Celan, trois poètes victimes de la violence légalisée par les régimes dictatoriaux. Étienne appelle à la justice sociale dans l’esprit du judaïsme, défini par Levinas comme « le rapport avec le divin [qui] traverse le rapport avec les hommes ». La poésie d’Étienne est prière, témoignage mémoriel et kaddish.
Gérard Étienne, originally from Haiti, Quebec writer and journalist, has converted to Judaism after meeting Natania, daughter of Rabbi Feuerwerker in Montreal where he had led his forced exile in 1964 following the arrest and of torture by the minions of Duvalier. Étienne is self defined as « negro Jew » without denying his Haitian identity, fighting fascism, racism and anti-Semitism and expressing his desire to be Jewish and Black. With Jewishness wellspring of his creation, he is reborn to life. A comparison will be outlined between Gérard Étienne, Ossip Mandelstam and Paul Celan, three poets victims of legalized violence by dictatorial regimes. Étienne calls for social justice in the spirit of Judaism, defined by Jewish philosopher Levinas as « the relationship with God [who] through the relationship with men ». The poetry of Étienne is conceived as prayer, testimony and memorial Kaddish.