Résumés du n° 68 (automne 2014 - hiver 2015)
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Dossier : La Grande Guerre et les juifs (II)
Fernand Halphen, chef de musique au 13e Régiment d’Infanterie Territoriale, un israélite dans la Grande Guerre par Laure Schnapper
Le cas de Fernand Halphen illustre de manière originale le patriotisme des israélites lors de la Grande Guerre. Héritier d’une riche famille parisienne, violoniste, compositeur et mécène, il n’hésita pas à mettre son savoir-faire de musicien au service de la France. Chargé de fonder et de diriger un orchestre d’harmonie régimentaire pendant deux ans et demi, il joua avec son orchestre un répertoire composé de marches, de musique légère et d’adaptations d’opéras à la mode, destiné à soutenir le moral de la population civile et des soldats blessés. Loin de dédaigner ce travail comme certains de ses collègues musiciens, très apprécié à la fois des musiciens de son orchestre et des officiers supérieurs, il travailla sans relâche, tout en trouvant le temps de composer deux mélodies, dont l’une – Les Tranchées – rend hommage aux poilus, avant de succomber à une maladie contractée pendant l’hiver 1916- 1917.
Fernand Halphen, the son and heir of a wealthy Parisian Jewish family, was a rare example of patriotism during the First World War. He was a violinist and composer who showed courage and imagination in offering his services to his country by becoming the leader and conductor of a regimental ensemble which performed light music and operas for the troops in order to raise morale among recruits and civilians. Halphen did not disdain this type of entertainment, unlike others and in fact acquired a considerable reputation among his colleagues and military superiors.
He worked unstintingly for the troops and wrote a piece entitled ‘In the Trenches’, a paean of praise written in honour of rank and file soldiers some little while before he himself died of a fatal disease which he contracted in 1916-17.
Les Juifs et la Guerre, extraits par André Spire
Présentation et commentaires de Danielle Delmaire
En 1917, paraît, chez Payot, un ouvrage du poète André Spire : Les Juifs et la Guerre. Il est rédigé en 1916 durant la bataille de Verdun mais avant les changements de l’année 1917 (entrée des USA en guerre, révolution bolchevique, déclaration Balfour, entrée des Britanniques à Jérusalem). Le livre est composé de deux parties : un développement suivi d’abondantes annexes. Dans le développement, André Spire apporte de nombreuses preuves du patriotisme des Juifs à l’égard de leur pays quel qu’il soit et s’indigne du sort qui est fait aux Juifs dans les pays d’Europe centrale et orientale. Il justifie donc la nécessité de militer pour le sionisme qui a pour but l’instauration d’un foyer national juif en Palestine.
In 1917 was published a book of the poet André Spire : Les Juifs et la Guerre (Payot edition). It was written in 1916, during the battle of Verdun, and therefore before the 1917 shift (involvement of the USA in the war, Bolshevik Revolution, Balfour Declaration, British entry in Jerusalem). The book was divided into two parts : first, the text itself ; second, many annexes. In the main part, André Spire gave many proofs of Jewish patriotism to their country ; the author expressed his outrage at the fate of the Jews in Central and Eastern Europe. He justified Zionism and its goal : working towards the foundation of a national home for the Jews in Palestine.
Les combattants juifs roumains dans la Grande Guerre à travers les œuvres de Horia Carp et Liviu Rebreanu par Carol Iancu
À partir des histoires vraies, le journaliste et écrivain juif Horia Carp (1869-1943), décrit dans le recueil Du temps de l’oppression (1924), les injustices et les discriminations infligées aux combattants juifs dans l’armée roumaine, accusés en bloc d’être des espions et des déserteurs. Dans sa nouvelle Ițic Strul déserteur, Liviu Rebreanu (1885-1944), l’un des plus importants écrivains roumains du XXe siècle, présente à travers le suicide d’un soldat juif, victime de l’antisémitisme, le drame de l’allogène indésirable malgré sa loyauté.
Based on true stories, the journalist and Jewish writer Horia Carp (1969-1943) described in the volume On the time of oppression (1924), the injustices and discriminations inflicted to the Jewish combatants, accused of being spies and deserters, in the Romanian army. In the short story “Ițic Strul, deserter” (1921), Liviu Rebreanu (1885-1944), one of the most important Romanian writers of the 20th century, presents the drama of a minority group, undesirable in spite of its loyalty, through the case story of the suicide of a Jewish soldier, victim of the Anti-Semitism.
Antisémitisme-Généalogie-Patrie. Le cas des anciens combattants juifs sous Vichy par Philippe Landau
Le 3 octobre 1940, le premier Statut des Juifs retire la citoyenneté française aux israélites. Cette mesure est un choc. Ceux qui sont français depuis des générations sont humiliés. Les articles 3 et 8 prévoient des dérogations pour les anciens combattants. Patriotes et républicains, convaincus d’avoir scellé leur destin à celui de la France avec leur sacrifice dans la Grande Guerre, ils dressent alors des tableaux généalogiques. Dans des conditions difficiles, ils réussissent à démontrer la participation patriotique de leurs aïeux sur plusieurs générations. Mais toutes ces preuves n’auront aucun impact sur la politique du Régime de Vichy.
October 3rd, the first Status of the Jews removes to the israelites their citizenship. For them, this measure is a shock. Those who are french since generations are humbled. Articles 3 and 8 plan however dispensations for the war veterans. Patriots and republicans, convinced to have sealed their fate in France with their sacrifice during the Great War, they are going to draw up genealogical boards. In difficult conditions, they manage to demonstrate the patriotic participation of the forefathers on several generations. But all these proofs will have no impact on the Regime of Vichy.
Varia : Littérature et histoire
La représentation du désert et des villes nouvelles du Néguev dans la littérature et le discours public en Israël par Ilanit Ben-Dor Derimian
Le désert du Néguev est communément considéré comme une zone « périphérique » de nature sauvage en Israël. Il occupe cependant une position stratégique, essentielle à l’existence du « Centre ». Dans le cadre de la politique de conquête du désert des années 1950, onze villes nouvelles ont été construites pour accueillir des milliers de nouveaux immigrants. En revanche, depuis les années 1980, le respect des valeurs écologiques et le souci de préserver sa nature sauvage de désert sont davantage pris en considération dans les projets de développement et plusieurs villes nouvelles revendiquent aujourd’hui une identité de « ville durable ». Cet article cherche à analyser ce processus de socialisation spatiale, en examinant d’une part la représentation du lieu et de ses villes nouvelles à travers le discours, et d’autre part ses transformations concrètes. La recherche ainsi menée vise à montrer comment la dévalorisation du collectivisme dans la société israélienne, sur fond de mondialisation, a renforcé le potentiel d’influence des groupes sociaux sur la construction de l’identité spatiale du Néguev et de ses villes nouvelles.
The Negev desert occupies most of the territory of the State of Israel, having a strategic importance for the existence of the “center” and at the same time it is considered as a natural wild “periphery”. According to the policy of “conquering” the desert and “flourishing” it, during the 1950s eleven development cities were established in order to settle thousands of new immigrants. Nevertheless, since the 1980s, the tendency is to develop the desert according to ecological values, while preserving its natural character, and some development cities today adopt an identity of a “sustainable city”. This article analyzes the process of spatial socialization by examining the representations of the desert and the development cities in the public discourse, side by side their concrete transformations. The study shows how the devaluation of collectivism in the Israeli society, as part of globalization processes, reinforced the ability of social groups to influence the construction of the spatial identity of the Negev desert and its development cities.
La figure de l’intellectuel juif universitaire, lecture de Serge Doubrovsky, Philip Roth et A. B. Yehoshua par Nurit Levy
Cette étude analyse le déploiement de la figure de l’intellectuel juif dans les œuvres autofictionnelles de Serge Doubrovsky, ainsi que La Tache de Philip Roth et La Mariée libérée d’A. B. Yehoshua. Si dans les romans de Doubrovsky, le regard introspectif qui domine l’écriture de soi ne permet pas toujours de percevoir l’environnement social du héros universitaire de manière approfondie, il le place en même temps dans une dialectique à la fois personnelle et historique qui montre la douleur d’un homme traumatisé par l’Occupation. En revanche, Roth et Yehoshua, positionnent leurs protagonistes, intellectuels juifs, dans les filets des phénomènes socioculturels qu’ils ne contrôlent pas afin d’examiner certains aspects du comportement humain dans la société. À la frontière de l’autobiographie et de la fiction, la figure de l’intellectuel juif dévoile ainsi sa consistance romanesque qui se perçoit dans toute sa complexité en dépassant les concepts établis par l’Histoire.
This study analyzes the use of the figure of the Jewish university intellectual in works of “autofiction” by Serge Doubrovsky, as well as The Human Stain by Philip Roth and The Liberated Bride by A. B. Yehoshua. If, in Doubrovsky’s novels, the writing of the self expresses itself via an introspective mode that sometimes obscures one’s perception of the social environment of the university hero, it does place him in a dialectic both personal and historical that highlights the pain of a man who remains traumatized by the Nazi Occupation of France. Whereas the protagonists in Roth’s and Yehoshua’s novels get tangled up in sociocultural phenomenon beyond their control which allows an examination of some aspects of human social comportment. At the frontier of autobiography and fiction, the figure of the Jewish intellectual thus unveils its imaginative substance in all its complexity, going beyond the concepts established by History.
Le temps vécu des Juifs en France pendant la Seconde Guerre mondiale : regards rémois par Romain Dupré
« Sur l’horloge de l’histoire », note Adam Rayski, « les aiguilles avançaient plus vite pour les Juifs que pour les autres populations de l’Europe occupée. Le temps des autres n’était pas exactement le nôtre… »[1]. Cependant, les Juifs ne peuvent pas faire individuellement l’expérience du temps à un rythme constant. L’expérience du temps n’est en effet jamais uniforme. Concernant celle des Juifs de France pendant l’Occupation, elle n’a guère été vraiment interrogée, tout comme la manière dont leur temporalité est structurée durant ces années. À travers l’exemple rémois, notre propos entend démontrer l’importance de ces questions dans la compréhension de la condition des Juifs de France au cours de cette période. Il mobilise dans ce but de nombreux témoignages, ainsi que des concepts et notions de psychologie en plus des outils de l’historien. Au terme de notre démonstration d’inspiration phénoménologique, une temporalité en majeure partie différente dès 1942 de celle des non-Juifs se dessine, composite, saccadée. Elle traduit une persécution qui s’étend au final jusqu’à l’architecture soutenant la vie des Juifs de France pendant la Seconde Guerre mondiale.
“On the clock of history”, says Adam Rayski, “the hands advanced faster for Jews than for the other people of Europe that was under occupation. The time of the others was not exactly like ours”[2]. Meanwhile, the Jews cannot individually experience time at a constant rate. Their experience of time is indeed never uniform. For the Jews of France during the Occupation, Time was hardly really questioned, like how their temporality was structured over the years. Using the example of Reims, our purpose intends to show the importance of these issues in the understanding of the status of the Jews of France during this period. For this purpose, he mobilises many testimonies and psychology concepts, in addition to the tools of the historian. At the term of our phenomenologically-inspired demonstration, Temporality contours between Jews and non-Jews show the emergence of major differences from 1942 onwards ; Jews’ time being more interrupted, less constant. It reflects a persecution which in the end extends to the architecture supporting the life of the Jews of France during the Second World War.
[1] Adam Rayski, Nos illusions perdues, Paris, Balland, 1985, p. 91.
[2] Adam Rayski, Nos illusions perdues, Paris, Balland, 1985, p. 91.