Résumés du n° 53 (printemps - été 2007)

samedi 14 août 2010
par  Danielle Delmaire
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Dossier : Juifs en France (1940-1944) : apprendre, enseigner

- Enseigner, apprendre. Les enfants juifs au camp de Rivesaltes (1941-1942) par Anne Boitel

Le camp de Rivesaltes, situé dans la plaine du Roussillon a accueilli, entre janvier 1941 et novembre 1942, environ 20 000 internés dont une majorité de Républicains espagnols et de ressortissants juifs originaires des pays belligérants. Un tiers de ces internés ont moins de 15 ans et, parmi eux, nombreux sont les enfants juifs. Si des rudiments d’enseignement sont dispensés, grâce aux œuvres d’assistance, pour compenser une scolarisation déficiente mise en place par l’administration de Vichy, il n’en demeure pas moins que l’urgence d’extraire les enfants juifs du camp s’est substituée à l’impératif de procurer la connaissance, les savoirs et les apprentissages. Les œuvres ont néanmoins permis aux enfants de sortir de leur isolement en proposant des activités artistiques, culturelles et ludiques au sein de leurs structures ainsi qu’un réconfort et une éducation spirituelle. Cependant, apprendre peut sembler incompatible avec l’internement et dans de telles circonstances, souvent, les enfants furent livrés à eux-mêmes.

- Scolarisation et éducation à la colonie d’enfants réfugiés d’Izieu (1943-1944) par Pierre-Jérôme Biscarat

Le 6 avril 1944, le chef de la Gestapo de Lyon, Klaus Barbie, ordonne l’arrestation des enfants et du personnel de la Colonie d’Enfants Réfugiés d’Izieu, commune située dans le sud de l’Ain. 44 enfants et 7 éducateurs juifs sont arrêtés puis déportés. Seule une éducatrice reviendra des camps. Dès la création de la colonie, fin avril – début mai 1943, la volonté de scolariser les enfants est l’un des premiers soucis de la direction. Du 18 octobre 1943 au 5 avril 1944, une trentaine d’enfants juifs français et étrangers ont suivi, dans les murs même de la maison d’Izieu, une scolarité dispensée par une institutrice, Gabrielle Perrier. Parallèlement, quatre adolescents sont scolarisés au collège moderne de Belley, situé à 20 kilomètres d’Izieu. Aborder cette problématique de l’éducation nécessite que l’on réponde à quelques questions essentielles : qui sont les enfants réfugiés à Izieu ? Qui sont Miron et Sabine Zlatin, les responsables de la colonie ? Quand et comment ont-ils créé la colonie d’Izieu ? Est-ce un simple refuge ou plus spécifiquement une maison d’enfants cachés ? Quels sont les soutiens institutionnels et, surtout, quel est le statut de la colonie par rapport à l’administration de Vichy ? Il semblerait que sa création se soit effectuée dans un cadre légal. Et s’il n’est pas illégal d’installer une colonie d’enfants juifs réfugiés, leur scolarisation entre donc dans le cadre de la loi, l’obligation scolaire s’appliquant aux enfants juifs de la métropole, que ce soit dans l’enseignement primaire ou secondaire.

- La condition des professeurs et des élèves juifs dans les lycées parisiens sous l’Occupation : perceptions et réactions par Cécile Hochard

Les mesures et les lois antisémites prises au cours des années 1940 à 1944, tant par le gouvernement de Vichy que par l’occupant allemand, créent une catégorie de population et provoquent la stigmatisation, la persécution et bien souvent la mort des personnes concernées. Cet article étudie l’application de ces mesures dans un univers particulier, celui des lycées de Paris et de la région parisienne, et s’intéresse aux manières dont les personnels et les élèves, juifs et non juifs, ont perçu et parfois réagi face à ces lois d’exception. Les enseignants et membres de l’administration, systématiquement exclus de leurs fonctions, n’ont reçu que très peu de témoignages de soutien de la part de leurs collègues. Les manifestations attestées de solidarité ont en revanche été plus nombreuses à l’égard des élèves juifs, notamment quand ils furent obligés de porter l’étoile jaune.

- La proscription des étudiants juifs en France pendant l’Occupation : le rôle de Jérôme Carcopino par Stéphanie Corcy

Le régime de Vichy remet en cause l’intégration des Juifs dans la société française en édictant une législation d’exception qui touche aussi les étudiants. Secrétaire d’Etat à l’Education nationale et à la Jeunesse, Jérôme Carcopino est partie prenante dans son élaboration, parce que l’instauration d’un numerus clausus dans les universités lui semble légitimée par les interdictions professionnelles émises par les statuts des Juifs d’octobre 1940 et juin 1941. Des critères, qui font la part belle aux qualités militaires, établissent la priorité de certains étudiants. L’application du numerus clausus aux grandes écoles est problématique en raison du concours d’entrée. Directeur de l’Ecole Normale Supérieure, Carcopino y applique le numerus clausus. Il refuse pourtant de l’étendre à l’enseignement secondaire métropolitain.

Varia : Littérature et philosophie

- S. Y. Agnon, inquiétudes esthétiques et métaphysiques. De La Dot des fiancées à A la fleur de l’âge par Juliette Hassine

La Dot des fiancées et A la fleur de l’âge publiés en France en 2003 font ici l’objet d’une étude comparée afin de mettre en lumière les principes de l’écriture agnonienne. Les deux œuvres étudiées dressent une fresque du vécu quotidien des familles hassidiques en Galicie pendant plusieurs générations. Au centre des préoccupations se trouve la famille juive et surtout les thèmes de l’amour et du mariage. Un problème comme la relation du couple (homme et femme) renvoie au souci majeur de l’écrivain – le rapport entre le fond et la forme, illustré par le rapport entre le corps et le vêtement notamment dans Le Livre des vêtements, projet demeuré inabouti. Chez Agnon, le mariage parfait entre vêtement et corps, entre corps et âme relève des temps messianiques. Ainsi dans cette écriture qui est une forêt de symboles et où tout devient allégorie, l’inquiétude esthétique finit par refléter une inquiétude métaphysique.

- Une géographie mythique de la Jérusalem de David Shahar par Anna Lissa

Dans cet article nous proposons d’analyser le cheminement qui, à ses débuts, conduit David Shahar, dans son écriture, jusqu’à la Jérusalem du cycle Le Palais des vases brisés. L’analyse de deux de ses premiers contes : « La Boîte à cigarettes vide » (1952) et « Le Garçon de la frontière » (1953), révèle la présence de motifs qui, par la suite, deviendront les caractéristiques de la production de David Shahar. Un examen du motif mythique de la frontière et de la pluie, en relation avec Jérusalem, permet de voir que la ville devient un espace sacré susceptible de catalyser le temps sacré. Cette opération est aussi possible grâce à l’ambiance nocturne de Jérusalem. La nuit a pour fonction de catalyser le temps mythique. Toutefois, un temps mythique ne peut être catalysé que dans un espace sacré, c’est-à-dire à Jérusalem, dans laquelle la tradition juive a concentré les temps mythiques de la création et de l’eschatologie. En outre, le temps mythique et l’espace sacré de Jérusalem ont aussi pour fonction de permettre aux personnages de David Shahar d’effleurer la dimension métaphysique. Donc, cet article met aussi en évidence les motifs mythiques qui, à leur tour, sont à la base des suggestions mystiques, qui deviendront un élément fondamental dans le cycle Le Palais des vases brisés.

- Retour, retournement et souffrance chez Lévinas par Annabel Herzog

Pour certains philosophes et intellectuels, Lévinas aurait inauguré une « pensée du retour », c’est-à-dire aurait montré la voie menant au rejet de la philosophie occidentale. Pourtant, si une forte critique de l’ontologie est à l’œuvre chez Lévinas, elle signifie non pas un rejet mais un élargissement de la tradition philosophique à des éléments qui, selon lui, lui faisaient jusqu’alors défaut.
Il est vrai qu’à de nombreuses reprises Lévinas utilise le terme « retour », mais il le fait de diverses manières et dans différents buts. Dans certains cas, « retour » semble signifier « retour au judaïsme » contre la philosophie totalisante occidentale, alors que dans d’autres le « retour » est une attitude philosophique que Lévinas oppose à un « retournement » qui, lui, serait à la fois biblique et éthique. Cet article tente d’établir la ou les différences entre ces conceptions du retour et du retournement. En conclusion, il montre que retour et retournement sont liés à un autre aspect important de l’éthique lévinassienne, c’est-à-dire au rôle de la souffrance.